Cette publication, qui s’inscrit dans un registre radicalement différent des autres présentes sur le blog, offre un bref panorama du marché de la prostitution en Colombie, ses dérives, son impact sur le pays mais aussi sa population.

La première partie donne quelques éléments de réponse pour comprendre la réalité vécue par les colombiens qui sont en contact avec ce secteur de l’économie souterraine (mais bien visible) du pays. Je t’invite à consulter les nombreuses sources citées dans cet article pour t’informer au mieux sur le sujet.

La deuxième partie de cette publication relate mon entretien avec une jeune prostituée colombienne de Carthagène des Indes en mai dernier (2019).

Bonne lecture.

Le marché de la prostitution en Colombie

Réglementation

La Colombie, contrairement à d’autres pays, n’a pas encore su statuer sur le thème de la prostitution au sein de son territoire.

La prostitution infantile est formellement interdite en Colombie. Elle est aussi sévèrement punie par la loi.

Pour en savoir plus sur la réglementation de la prostitution en Colombie, voici quelques articles bien renseignés sur le sujet :

Dérives de la prostitution en Colombie

Comme de nombreuses régions du monde, la Colombie n’est pas épargnée par les dérives engendrées par la prostitution.

Trafic humain, prostitution infantile, règlements de compte entre bandes rivales pour dominer tel ou tel secteur de la ville… toutes les raisons sont bonnes pour bafouer les droits les plus élémentaires de la condition humaine.

La ville de Cartagena de Indias a beaucoup changé ces dernières années. Bien que cette activité y ait toujours été présente et certainement plus développée que dans d’autres régions, de nombreux facteurs internes et externes au pays l’ont récemment affectée.

Crise vénézuélienne et marché de la prostitution colombienne

L’afflux de migrants vénézuéliens venus trouver refuge au sein des grandes citées colombiennes, le récent développement touristique de la région caraïbe ou encore l’absence de contrôle de la part des autorités locales ont su contribuer à l’essor d’un trafic humain qui permet de satisfaire la demande des consommateurs locaux et internationaux.

La crise migratoire vénézuélienne a d’ailleurs joué un rôle majeur dans l’augmentation de l’offre et la chute des prix du marché de la prostitution en Colombie. De nombreux articles de presse relatent cet « exode sexuel » qui s’opère depuis maintenant plusieurs mois entre les deux pays :

Heureusement, des associations, des fondations et certains organismes gouvernementaux tels que la Cour Constitutionnelle soutiennent la protection des travailleurs sexuels dans cette région du globe.

Il existe même un syndicat des travailleurs sexuels de Colombie.

Entretien avec une prostituée colombienne

Se prostituer en Colombie

Je connais Cartagena de Indias depuis maintenant presque 10 ans. C’est sans nul doute la destination la plus prisée par les touristes aussi bien nationaux qu’internationaux. Normal qu’on puisse y trouver le meilleur mais aussi le pire de ce que la Colombie peut offrir à ses visiteurs.

« Entre 75 et 80% de mes clients sont américains (comprendre étasuniens) ».

Alicia

Cependant ces derniers mois le phénomène de la prostitution au sein du centre historique, mais aussi au travers des applications de rencontre, a pris des proportions qui viennent retirer une partie du charme de cette ville déjà très affectée par le tourisme de masse (la Colombie a multiplié par 5 son nombre de visiteurs en l’espace d’une courte décennie et la plupart passent par la Côte Caraïbe à un moment ou un autre).

Pour en savoir plus, et surtout offrir une vision plus personnelle et moins stéréotypée du sujet, j’ai décidé de passer une soirée en compagnie d’une professionnelle colombienne.

J’ai donc eu une relation tarifée avec Alicia, 18 ans, originaire de Cartagena de Indias le mois dernier. Relation tarifée… mais non consommée… sauf si tu souhaites considérer que siroter 2 bières et 2 limonades pour rédiger un article de blog fait de moi un client du marché sexuel colombien.

Voici un condensé de mes 2 heures passées en compagnie d’Alicia :

Discussion avec une jeune prostituée colombienne

Quitte à se déplacer sur Carthagène pour donner une conférence sur les chocs culturels franco-colombiens dans un collège… autant faire d’une pierre deux coups. Je lance mon application de rencontre favorite et jette un œil aux habitantes du coin prêtes à aller boire un verre ou danser quelques heures.

Cartagena n’est apparemment pas la ville idéale pour les rencontres romantiques. La plupart des profils respirent la vente de services sexuels. On s’en rend vite compte au vu des photos et des descriptions de profil.

Peu importe… c’est toujours intéressant d’étudier le comportement des locaux, c’est mon job-passion.

Je m’arrête sur le profil d’Alicia. Elle a l’air sympa, elle est mignonne… on discute quelques instants et au simple vocabulaire employé par ma nouvelle contacte je sais vers quel type de relation je me dirige. Je me dis que quitte à jouer au journaliste en herbe autant monter d’un cran. Je vais moi aussi droit au but :

Soirée avec une jeune prostituée de Carthagène des Indes

J’arrive au lieu de notre rendez-vous, je ne suis pas très rassuré mais je me dis que cela vaut le coup. Il faut tout de même faire attention car ce genre de rencontre comporte des risques. Un belge a récemment eu quelques mauvaises surprises lors d’une rencontre intime dans la ville de Medellín.

Nous avons choisi de nous rencontrer dans un bar aux abords du centre historique. Elle dit avoir de nombreux amis en ville et préférerait que son activité reste la plus secrète possible.

Elle arrive en taxi avec environ 20 minutes de retard… rien de bien étonnant quand on connait la côte caraïbe.

« Mon petit-ami est au courant. »

Alicia

C’est une jolie jeune fille svelte et à l’allure juvénile qui se présente à moi. On décide de s’asseoir en terrasse et de commander une bière et une limonade. J’allume mon micro et l’interview commence.

Pour l’occasion elle décide de se rebaptiser Alicia (l’idée est bonne quand on connait l‘œuvre de Lewis Caroll).

Une jeune fille comme une autre

Alicia a fêté ses 18 ans il y a quelques mois à peine. Elle est originaire de Cartagena de Indias, la ville où elle exerce cette profession depuis le début de l’année. Ce n’est pas la façon dont elle imaginait gagner sa vie quand elle était petite mais elle y voit un moyen rapide et temporaire pour accumuler un pécule et ensuite s’envoler vers d’autres projets. Elle préfère d’ailleurs facturer ses clients en dollars américains (on reviendra plus tard sur son cœur de clientèle).

– Qui sait que tu es ici avec moi ?

– Le taxi qui vient de me déposer.

– Il travaille avec toi ? C’est une connaissance ?

– Il est de ma famille. J’ai aussi prévenu une amie car ta proposition me paraissait étrange.

Entretien avec Alicia, mai 2019, Cartagena de Indias, Colombie.

Elle étudie à l’université de Carthagène, une université publique, habite avec sa famille et préférerait qu’un minimum de personnes soit au courant de son activité extra. C’est pourquoi nous nous sommes donnés rendez-vous dans un bar un peu excentré par rapport au centre historique de la ville.

– Qui connaît ton activité ?

– Une partie de ma famille est au courant. Ma mère le sait. Elle se prostituait aussi avant mais elle a arrêté. Je ne voudrais pas que mes neveux le sachent. Ils sont encore petits.

Entretien avec Alicia, mai 2019, Cartagena de Indias, Colombie.

De serveuse à prostituée

Ce sont ses amies qui lui ont suggéré de s’essayer à ce métier. Elles lui ont même trouvé son premier client pendant une soirée en discothèque, un italien de Naples.

« Je pourrai contre-balancer mes mauvaises actions en en faisant de meilleurs. »

Alicia

Avant de devenir travailleuse sexuelle Alicia était serveuse, une activité bien moins rentable.

– Combien gagnes-tu par semaine ? par mois ?

– Tout dépend des semaines et des clients qui se présentent. Avec 3 clients je peux me permettre de payer 2 semaines de nourriture et une partie des factures.

– Tu as environ 3 clients par semaine ?

– C’est aussi fonction des périodes de vacances, de l’afflux de touristes. En période touristique on me contacte beaucoup plus bien sûr. Il y a aussi un facteur chance.

Entretien avec Alicia, mai 2019, Cartagena de Indias, Colombie.

Il est important de préciser que le salaire minimum colombien s’élève à 828.116 pesos colombiens. C’est moins de 300 euros pour un mois complet de travail (48h/semaine).

Et après ?

Pour elle la prostitution n’est qu’une étape de sa vie. C’est en tout cas la façon dont elle se projette vers l’avenir.

– Comment imagines-tu ton futur ?

– Diplômée de l’université, professionnelle… une fille qui va de l’avant. Il faut aller de l’avant c’est le plus important.

– Quand tu étais petite tu pensais qu’un jour tu serais amenée à te prostituer ?

– Non. Une petite fille n’imagine jamais ce genre d’avenir. Quand on est une enfant on se projette docteure, vétérinaire… mais pas une travailleuse sexuelle. Je n’ai jamais imaginé cela quand j’étais petite.

– Tu penses que ce sera facile d’en sortir ?

– Non. Mais comme je te le disais tout est question de volonté. Le plus dur c’est de s’échapper de l’emprise de l’argent facile. Pourquoi se tuer au travail pendant des jours quand on peut gagner la même somme en une heure ? Mais tout dépend de ta force de volonté. Pour moi c’est juste une période de ma vie, un an. J’attend de terminer l’université et j’économise. Contrairement à d’autres filles je ne dépense pas tout ce que je gagne en choses futiles, maquillage, vêtements… j’économise. Ma première motivation c’est ma famille. Si je ne m’occupe pas de ma famille qui va le faire ?

Entretien avec Alicia, mai 2019, Cartagena de Indias, Colombie.

On pourrait même penser qu’elle voit cette activité comme un moyen de financer son avenir. Elle met la grande partie de ses gains de côté. La discussion prend presque une tournure burlesque lorsqu’elle en vient à me demander des conseils pour investir ce qu’elle a réussit à économiser.

Quid de la clientèle

Un sujet m’intrigue, « qui sont ses principaux clients ? » :

– Alicia, qui sont tes clients ?

– 75 ou 80% d’entre eux sont Américains.

– Aucun client local ? Pas de Colombiens ?

– Non seulement des étrangers. Pas de latinos.

– Si tu devais établir un top 3 des nationalités qui payent pour tes services ?

– En première position les américains… (elle me touche l’épaule et esquisse un sourire navré et complice à la fois). Je suis désolée…

– Pourquoi ?

– En deuxième position viennent les français, ou en tout cas des hommes qui parlent te langue. Viennent ensuite les indiens. »

Entretien avec Alicia, mai 2019, Cartagena de Indias, Colombie.

Dans mon cas, j’ai pu entrer en contact avec Alicia au travers d’une application de rencontre mondialement connue. Application qui a vu son utilisation détournée au profit d’activités comme celle-ci dans certaines régions du monde (on peut aussi y acheter de la drogue mais c’est un autre sujet).

– Comment te traitent tes clients ?

– Mal, il y a même une fois où cela a faillit mal tourner.

– Comment cela ?

– Le client n’arrivait pas à terminer et il considérait que c’était de ma faute.

– Et tes autres clients ?

– La plupart d’entre eux considèrent que payer leur donne tous les droits.

Entretien avec Alicia, mai 2019, Cartagena de Indias, Colombie.

Elle m’explique aussi que de nombreux clients cherchent à établir et assouvir un rapport de soumission. Ils payent, ils peuvent donc faire ce que « bon » leur semble.

Drogue et prostitution en Colombie

Cartagena de Indias est malheureusement devenue l’une des destinations privilégiées par les touristes en recherche de sensations fortes et prêts à consommer des substances peu recommandables.

– Beaucoup de clients à toi consomment de la drogue ?

– Oui beaucoup. Certains payent pour que tu consommes de la drogue avec eux. Je ne le fais pas mais des amies à moi acceptent cette pratique.

Entretien avec Alicia, mai 2019, Cartagena de Indias, Colombie.

Au final notre discussion dérivera sur d’autres thèmes mais je voudrais tout de même en partager quelques bribes avant de conclure cet article.

Prostitution en Colombie : entretien avec Alicia

Une fois notre entretien terminé et mes principales questions sur la prostitution en Colombie ayant trouvé des éléments de réponse… nous continuons notre discussion comme deux amis.

C’est peut-être à ce moment là que le choc est le plus rude. On parle politique et cinéma. Elle connait bien la situation de son pays et n’est pas dupe quant au niveau de corruption ambiante et a bien conscience que les gouvernements qui se succèdent ne cherchent pas le bien commun.

On passera une bonne partie de la soirée à évoquer le cinéma d’animation japonais, Hayao Miyazaki, qui malgré sa récente démocratisation continue de garder un public restreint et rare sont ceux à connaitre la totalité de l’œuvre.

Alicia a 18 ans, elle est cultivée, étudie et cherche à construire son avenir sur des bases pérennes. Elle me fait penser à de nombreuses amies du lycée… à la seule différence qu’elle est née en Colombie et que ses parents ne sont pas d’une strate sociale privilégiée.

¡Hasta pronto!